Couturières

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Les couturières d’antan

On les appelait Constance ou Rosalie, Noémie ou Léontine : le prénom suffisait pour les identifier . En revanche, le patronyme était nécessaire s’agissant des Marie Huchet, Gréhal, Repessé ou Chalopin... Mais toutes avaient un point commun : elles étaient des couturières à Ercé entre les deux guerres. Pour la plupart elles demeuraient au bourg et leur mari était artisan. Elles-mêmes travaillaient comme « couturières » [le terme « tailleuse » était peu usité] pour les gens « de la campagne », des fermes et des villages, que d’autres tâches absorbaient. À cette époque toutes les filles « savaient coudre » : elles l’avaient appris auprès de leur mère, bien sûr, mais aussi à l’école où cette activité constituait l’essentiel des « travaux manuels » qui, en juillet, faisaient l’objet d’une exposition fort appréciée, du canevas au napperon, du mouchoir brodé aux bas tricotés. Quelques-unes, parmi les plus douées, se lançaient alors dans la con- fection de leurs propres vêtements et de ceux de leurs proches. Puis elles se faisaient peu à peu une clientèle fidèle, habillant ainsi les premiers communiants comme les mariés. Cependant que dans les quelques demeures que d’aucuns qualifiaient de « bourgeoises », l’on tirait également l’aiguille joignant ainsi l’agréable à l’utile.

L’heure de gloire de Constance

Constance était l’une de ces couturières qui avait débuté « en allant à journée » dans la campagne pour confectionner robes ou pantalons, gilets ou blouses... Du sur mesure taillé, assemblé, essayé et cousu sur place. Mais bien vite elle travailla uniquement chez elle (actuellement 8, rue de Fougères) où, au fil des ans, vinrent s’habiller de neuf plusieurs générations d’une même famille. Il en était d’ailleurs ainsi pour ses « collègues » du bourg, qui toutes rêvaient de pouvoir un jour « habiller la mariée » et de connaître alors leur heure de gloire, cet instant où, dans sa belle robe blanche, la jeune épousée franchirait le seuil de leur demeure pour se rendre à pied à la mairie. Et notre couturière de se trouver, souvent, à la sortie de l’église pour voir « sa mariée » et « juger de l’effet », tendant une oreille parfois un peu inquiète pour saisir les appréciations et capter les commentaires des gens de la noce - ceux qui étaient « de la fourchette » - ou des simples badauds demandant qui avait fait la robe. Ercé comptait également, dans les années vingt, un tailleur, Victor Racine. Il habitait en l’actuel n°1 de la rue de Fougères, tout à côté des couturières renommées ; puis il partit exercer son art à Liffré. Il y a lieu de mentionner encore le magasin tenu (10 place de l’église) par Me Delahaye et ses filles, elles aussi couturières expertes. On y faisait commerce de mercerie et draperie et l’on y vendait des chapeaux ; lorsqu’un deuil survenait dans une famille, les femmes et jeunes filles s’adressaient à elles pour « arranger le voile ».

Quand Noëmie allait dans les fermes

Noëmie n’habitait pas au bourg, et des années durant elle alla travailler comme « couturière à la journée » dans les maisons – des fermes le plus souvent – qui la demandaient. Seul problème : la machine à coudre. En effet, il n’y en avait que fort peu dans les villages à cette époque, et quand bien même, nos couturières n’auraient point aimé en utiliser une autre que la leur. Alors, si la maison qui les attendait n’était pas trop éloignée de leur domicile, l’employeur du jour, ou le commis, allait à pied chercher la machine, plus exactement « la table » avec sa roue et son pédalier, qu’il chargeait sur ses épaules protégées par un sac de jute. La couturière suivait, portant la « tête » sur son bras. Si la distance était trop importante, on attelait à la carriole. Mais, là encore, elle ne se séparait pas de « sa tête » : simplement, assise à côté du conducteur, elle la tenait sur ses genoux... Arrivée à la maison, Noémie installait sa machine au plus près de la fenêtre, mais auparavant elle avait été invitée à « déjeuner » , tout au moins à prendre une soupe ou un café avec des tartines, pendant qu’on échangeait les nouvelles du moment. Alors seulement la journée pouvait commencer. Par quoi ?... Par le neuf, bien sûr ! Et « la patronne » d’aller prendre dans l’armoire la pièce de tissu destinée à devenir robe, veste ou sarreau. Travail intéressant pour notre tailleuse, qui savait qu’ensuite il y aurait un tas d’affaires à raccommoder, qu’il lui faudrait mettre des pièces aux pantalons et aux blouses, aux draps et aux chemises... Car en ce temps là on faisait « durer » ! Le jour déclinant, c’est à la lueur jaunâtre de la lampe à pétrole – parfois à la flamme bleutée du carbure - que l’ouvrière continuera d’actionner du pied sa machine en guidant de la main les morceaux de tissu qui boucheront les trous des vêtements usagés. Puis elle rangera ciseaux, mètre ruban, bobines de fil près de sa machine et recouvrira l’ensemble d’un drap si elle n’a pu apporter le « coffret », car à cette époque les « têtes » n’étaient pas rentrantes. Elle acceptera peut- être une dernière soupe bien chaude et s’en retournera chez elle. Demain matin elle reviendra, et encore le jour suivant si besoin. Et puis, le travail achevé, le patron ou le commis se saisira du « bas », Noémie reprendra le « haut » , et la machine à coudre retrouvera le Champ – Thébault. A moins qu’elle ne soit déposée directement dans la prochaine maison, pour confectionner du neuf et réparer du vieux.

Les brodeuses des Courtils - Ronds

À côté des couturières et tailleuses du bourg , les brodeuses constituaient un petit monde à part, tout au fond des « Courtils– Ronds ». Les plus anciens parmi les Ercéens se souviennent encore de Louise Rocher et de Marie Guyot qui confectionnaient, entretenaient, repassaient les coiffes à brides du Pays de Rennes, que portent les danseuses de La Bouèze lors des manifestations folkloriques. Métier d’art et de patience, minutieux et fatigant, et non dénué de risques car les brodeuses œuvraient près d’un poêle sur lequel chauffaient les « plaques » (fers à repasser) et souvent le soir à la lueur d’une lampe à pétrole. Un faux mouvement et ce pouvait être le drame... La chronique rapporte ainsi la mort tragique de deux brodeuses, âgées respectivement de 24 et 49 ans, en 1901 et 1902. Lorsque la dernière « repasseuse de coiffes » - qui avait quitté les Courtils–Ronds pour la route de Gahard - rangea définitivement ses plaques sur l’étagère et ses dentelles dans le tiroir, ce fut un véritable déchirement pour le dernier carré de ses fidèles clientes. Ces inconditionnelles de la coiffe traditionnelle durent en effet « se mettre au chapeau ». Pour elles, c’était la fin d’une époque ! Bien entendu, noirs étaient ces chapeaux, tout comme l’étaient alors les vêtements des femmes de nos campagnes.

Marcelle Lestard
Cette époque des couturières à domicile ou « allant à journée » est révolue mais l’une des doyennes d’Ercé l’a vécue, exerçant elle-même ce métier pendant plus de 55 ans. Marcelle Havard avait, en effet, 19 ans quand elle débuta, en 1932, après avoir « appris » auprès de Marie Gréhal durant trois années. Pendant un an elle alla de maison en maison, puis, après son mariage avec Pierre Lestard, s’installa au bord du Darot, où elle exerça son métier jusqu’à la fin des années 1980 ; elle a reçu plusieurs générations de clientes, habillé les filles après les mères, connu les années fastes et les temps de pénurie avec les « points textile » de l’Occupation et de l’immédiat après–guerre. Sa maison a disparu en 2017 (détruite pour faire place à de nouvelles constructions).

Qu’à travers sa personne, hommage soit rendu à toutes nos couturières d’antan.