Le Tramway
Le Tramvay à Ercé près Liffré
Sommaire
Historique
Le train arrive à Rennes, venant de Paris, en 1857. Sont ensuite desservies, les villes de Redon (1862 ), Saint - Malo (1864), Vitré et Fougères (1867). Les voies, aussi larges que celles d’aujourd’hui, sont appelées « voies d’intérêt général ». À cause de nombreuses divergences entre les différentes assemblées départementales (Le conseil général connaissait alors quelques difficultés financières car il avait privilégié l’amélioration du réseau routier vicinal), le projet de petites voies (1 m) «d’intérêt local», permettant de relier de nombreuses communes, demanda 40 ans avant de voir le jour.
Ce n'est qu'en 1895, que le Président de la République, Félix Faure, déclare d’utilité publique l’établissement dans le département d’Ille-et-Vilaine d’un réseau "de lignes de tramways à traction de locomotives" destiné au transport des voyageurs et des marchandises. La réalisation et l’exploitation de ce réseau sont alors confiées à la Compagnie des Tramways à Vapeur d’Ille-et-Vilaine (TIV). Au début du siècle, l’Ille et Vilaine possédait un réseau ferroviaire très dense , l’un des plus importants de France, avec 512 kilomètres de voies. Le département, avec ses deux pôles importants : la région Rennaise et la Côte d’Emeraude, un relief faible et une bonne activité économique, fut pourtant l’un des derniers de France à réaliser son réseau ferroviaire.
Le Tramway à Ercé
Sur le terrain de l’actuelle salle des fêtes s’élevait la gare des T.I.V. (Tramways d’Ille et Vilaine ). La compagnie exploitait déjà, entre autres, la ligne Rennes – Fougères inaugurée en septembre 1897 quand, à l’initiative de Yves Guyot, du Bordage, alors ministre des transports, fut décidée la création d’une ligne Rennes – Pleine-Fougères, via Liffré, cependant que de Mi – Forêt partait la ligne Rennes – Antrain, via Chasné, les deux convois faisant « voie commune » à partir de Sautoger. L’ouverture officielle de la ligne Rennes – Pleine-Fougères eut lieu le 30 novembre 1903, et sa fermeture intervint en 1937.À la sortie de Liffré la voie ferrée bifurquait vers la gauche pour pénétrer dans la forêt, plus dense et plus étendue que de nos jours. Coupant le CD 92 elle traversait les Landes de Beaugé, vierges de toute construction, pour atteindre le Haut–Chemin à hauteur des Bairues, où se trouvait un arrêt facultatif, « la halte ». Puis elle descendait vers Ercé, traçant sa route le plus droit possible à travers champs et pâtures, et à grand renfort de remblais ou de déblais. Après avoir franchi la petite route de la Bouféyère (point de maisons non plus entre la Croix du Champ – Thébault et la Tuberie) elle rasait la Bricardière où une partie de sa tranchée d’origine est toujours visible. Puis elle amorçait une courbe en descente qui devait être fatale à plus d’un convoi lors du franchissement de la route Ercé – Gosné, suite au déraillement de la locomotive en raison d’un amoncellement fortuit de graviers et de cailloux charriés par l’eau de pluie, après une violente averse par exemple. Toutefois ce genre d’incident n’avait la plupart du temps aucune conséquence sérieuse pour les voyageurs : les ercéens en particulier, quittaient leur wagon pour rentrer à pied chez eux. Enfin le tram s’engageait sur un remblai dominant les prairies de l’Illet pour atteindre la gare.
La gare
C’était un modeste bâtiment en bois, de couleur rouge sombre et couvert en tuiles, semblable à toutes les gares du réseau. Érigé dans la partie nord du terrain, il était bordé d’un quai sur lequel était installée une grue pour le chargement des grumes (billes de bois destinées à la scierie). C’est là également que l’on procédait à l’embarquement des bestiaux.La gare d’Ercé comprenait deux aiguillages, l’un au sud, face à la maison de « la mère Michel », l’autre au nord ; entre les deux, une « plaque tournante » permettait l’accès des wagons de marchandises à deux voies de garage, dont l’une desservait l’entrepôt du père Duclos, marchand de grains et d’engrais. La responsabilité de la gare était confiée à une « cheffesse »(sic) . À Mme Guesdeu, nommée à Antrain, succéda, en 1920, Mme Alfred Fouquet, qui devait assumer cette fonction jusqu’en 1938 . La voie ferrée traversait ensuite l’Illet sur un pont au tablier métallique, en amont du pont routier (cf. revue Au fil d’Ercé N° 1) et continuait vers Gahard, la prochaine halte facultative étant le Couët.
Le trafic
Jusque dans les années trente l’activité de cette ligne fut relativement importante. Outre la petite automotrice verte des années vingt, les trains circulaient chaque jour, matin et soir, parfois en milieu de journée. Trains de voyageurs, de marchandises, ou mixtes selon la saison .Le convoi ne devait pas comporter plus de 8 voitures (wagons), il mesurait 60 m de long et sa vitesse était d’environ 20 km/h. Trains spéciaux aussi, à l’occasion de grandes manifestations rennaises (les Foires – exposition, la première braderie, des congrès…) ; sans oublier les fameux « trains de plaisir » de l’été 36, avec les premiers « congés payés » et les Tressardières pour terminus.
La pierre des carrières et le bois des forêts étaient transportés par le « tram », et aussi , chaque automne, les pommes à destination de la distillerie d’Antrain. Étaient également convoyés le minerais de la mine de « la Touche » à Sens de Bretagne, la fonte des fonderies de « Sérigné » à Liffré ainsi que le courrier dans un coffre spécial. Mais, au fil des ans, la concurrence de la route allait grandissant et peu à peu le trafic ferroviaire diminua. Au convoi de plusieurs voitures, avec un taux de remplissage réduit, succéda la micheline, plus rapide et plus confortable. Toutefois le déclin de la ligne était amorcé et rien ne pourrait le stopper. Alors, au lieu de circuler quotidiennement, l’autorail ne passa plus que trois jours par semaine. Et puis plus du tout…
La fin
Cependant, bien que fermée officiellement depuis 1937 , la voie ferrée demeura en l’état. C’est ainsi que lors de la mobilisation partielle de 38, les réservistes des classes rappelées prirent un train spécial pour rejoindre Rennes. Peu à peu, inexorablement, la végétation envahit la voie et son emprise. Seul l’étroit sentier la bordant était encore emprunté par des gens pressés – ou discrets – car il constituait souvent un raccourci pour gagner une ferme voire la poste.
En 1941 le commando de P.C. noirs basé aux Cochelinais commença à enlever le ballast des voies de garage. Et voilà que tout à coup, un beau matin, l’on crut percevoir un bruit autrefois familier et déjà quasiment oublié, « comme si un train arrivait » ! Illusion ? Non pas : c’était bien un convoi, poussé par une locomotive classique et composé essentiellement de wagons plats, qui descendait vers le bourg. Notre vieux tram allait-il revivre ?…La réponse vint dès l’après-midi, quand il repassa chargé de rails rouillés et de traverses usagées : là-bas, du côté de Romazy ou de Sens, on avait commencé à « déposer » la voie. Bientôt le train- balai opérerait sur Ercé.
Restait le ballast. La compagnie le mit en vente pour un prix modique – 4F le mètre linéaire – et les fermiers riverains furent les premiers à s’en porter acquéreurs dans le but d’empierrer leurs chemins ou de « relever » leur cour. L’on vit alors jeunes et anciens manier la pioche et la pelle pour arracher tous ces cailloux à la terre et aux racines qui les emprisonnaient, en faire des tas qu’il faudrait ensuite charger dans les tombereaux. En quelque sorte ce furent les derniers « cantonniers » du T.I.V.
Les Cantonniers du TRAM
Les vrais cantonniers (le terme de « cheminot » étant plutôt réservé à ceux de « la grande ligne » ), eux, avaient pris leur retraite ou avaient été muté qui à Chasné, qui à Gosné, chargés de la pompe à eau. Ils étaient quatre pour Ercé : Pierre Berthelot, le chef, Alfred Fouquet (jusqu’en 1933), Joseph Jehannin, tous du bourg ; et Raymond Greneux, des Trois Chesnots.Leur travail consistait bien entendu à l’entretien de la voie, et ils opéraient en équipe. Toutefois, le samedi, l’un d’eux, toujours le même, était chargé de vérifier la ligne, entre la gare et Liffré. Pour ce faire, muni d’une « batte » - sorte de pioche pour tasser la pierre – il marchait sur le rail lui-même, le gauche à l’aller, le droit au retour, inspectant traverses, boulons, intervalles entre les tronçons. Son coup d’œil infaillible lui permettait de faire ensuite un compte-rendu, ponctué de « P.K. » correspondant aux « jointures » entre deux rails, localisant ainsi les travaux à entreprendre dès le lundi suivant.
Nos cantonniers disposaient d’un wagonnet – le « LORRY » - sur lequel il entassaient leurs outils et traverses neuves, leurs sacs en cuir contenant le repas du midi et leurs bicyclettes. Ils le poussaient en marchant sur le rail, et cette façon de faire intriguait les gamins, qui, bien sûr, essayaient de les imiter, les bras largement tendus pour garder l’équilibre.
Dans les descentes les hommes grimpaient prestement à bord du lorry et pouvaient ainsi parcourir rapidement une distance variable, sans fatigue et sans risque car « l’homme de frein » veillait, prêt à libérer le sabot qui stopperait l’engin, si d’aventure surgissait un obstacle au moment de franchir une route ou un chemin.
« L’exploit » du dimanche
Si les plus jeunes rêvaient de marcher sur les rails, leurs aînés avaient une autre ambition : y rouler à tombeau ouvert. Et plus d’une fois ils mirent leur projet à exécution. Ça se passait le dimanche après-midi, à la sortie des Vêpres, elles-mêmes précédées de la séance de catéchisme à laquelle assistait alors la quasi-totalité des enfants de la paroisse. Une petite bande se dirigeait vers la gare, remettait le wagonnet sur la voie et le poussait dans une montée. Arrivé en haut, tout le monde y prenait place ; on lâchait le frein, et vogue la galère !
Mais la grande expédition c’était lorsque le lorry était resté à la halte du Haut-Chemin, parce que le chantier en cours n’était pas terminé. Dans ce cas-là, le grand frisson était garanti, mais il se méritait. Il fallait, en effet, rejoindre les lieux à pied, en file indienne, par la « rote » longeant le ballast, en veillant à ne pas trop se faire remarquer. En revanche, la descente vers le bourg ne passait point inaperçue !… Ces anciens ercéens aujourd'hui disparus, étaient tous fiers d’avoir réalisé cet exploit .
Épilogue
Des années après son déclassement, l’emprise de la voie, débarrassée de son ballast, fut rétrocédée par la compagnie des T.I.V. à la commune. Celle-ci en proposa la vente aux riverains, qui purent ainsi réunifier les champs et les prés coupés en deux au début du siècle. Et aujourd’hui, en maints endroits, rares sont ceux qui peuvent indiquer avec précision, et vestiges à l’appui, que « le TRAM passait ici »…
Sources des photos et des textes
Photos : archives Au Fil d'Ercé Textes : P. Morin Liens : http://tramways35.e-monsite.com/pages/